Le mystère Champigny

Irène Champigny - Photo Denoël
Irène Champigny - Photo Denoël



Un peu d'histoire :

Irène Champigny (1895-1956) était la protectrice et la grande amie de Robert Denoël.

Elle connaissait Armand Hayet depuis 1925, et c'est elle qui le présentera à Denoël.


Elle commence ses activités en fabricant des tissus en batik avec Christian Caillard et Eugène Dabit, auxquels s'ajoute rapidement le peintre Maurice Loutreuil. Celui-ci décède peu après des suites d'une hépatite et lègue à Caillard son atelier avec plus de 200 toiles, dessins et aquarelles. Caillard et Champigny ouvrent alors une galerie d'art. C'est en 1926 qu'Irène Champigny rencontre Denoël, qui fait ses débuts de vendeur dans la galerie, avec peu de succès, ne paraissant pas très doué pour le commerce !

Si les débuts marchent bien, avec des expositions de peintures de Loutreuil, Dabit, Appia, Foujita, Klein, Modigliani, Utrillo et d'autres, rapidement, Champigny accumule les mauvaises affaires et les accidents de santé. Elle liquide sa galerie et quitte Paris pour Mezels dans le Lot, ou elle continue de travailler sur la correspondance de Maurice Loutreuil. 


en fond, batik de Java

De son côté, Denoël traverse aussi une passe noire.

« Je suis toujours à la veille d'être saisi, de voir mon électricité coupée. Je reçois des lettres de créanciers, des pneumatiques menaçants, des sommations de payer des dettes etc. Depuis trois mois je passe mes journées en cavalcades éperdues dans Paris pour trouver de quoi manger."

lettre à Irène Champigny, 1928

Mais il a désormais un projet bien arrêté : celui de s'associer avec Anne Marie Blanche, avenue de La Bourdonnais, pour y créer une librairie-galerie-maison d'édition, où un livre de luxe est déjà en préparation : L'Ane d'Or d'Apulée, illustré par Jean de Bosschère.

La transformation du local, l'équipement en rayonnages et cimaises, les frais du vernissage, début mars, de la librairie des Trois Magots, ont mis sa maigre trésorerie à rude épreuve : « L'installation terminée, le jour de l'ouverture, il me restait cinquante centimes en caisse », dit-il à Victor Moremans. Le livre de grand luxe qui devait paraître à cette occasion et le renflouer, a pris du retard à l'imprimerie, et ne sortira qu'en juillet. « Songez que depuis notre inauguration, en dehors de notre vie à nous, nous avons payé plus de trente mille francs de factures diverses et qu'il nous en reste à peu près autant à payer », écrit-il en mai à Champigny.

Le mois suivant, sa situation est devenue « réellement affreuse » ; l'ami de sa femme qui devait lui avancer 20 000 francs pour faire face aux dépenses immédiates s'est désisté : « Non seulement nous en sommes réduits à des expédients pour assurer notre nourriture quotidienne, mais nous avons de lourdes dettes, immédiatement exigibles [...] nous sommes entièrement paralysés, ne pouvant plus remuer, ni faire une exposition, ni la moindre publicité, ni rien qui puisse nous rapporter. »

Denoël réclame alors l'aide de Champigny : « Ne pouvez-vous rien faire pour nous ? C'est à dire ne connaîtriez-vous pas un homme riche et philanthrope que vous pourriez décider à nous prêter pour quelques mois (mettons six) une grosse somme d'argent, par exemple vingt mille francs, avec un intérêt convenable ? »

Un an et demi plus tard, Denoël lui avoue qu'il « traverse une crise financière extrêmement aiguë, et c'est bien parce que j'ai le sentiment d'être dans une impasse, qu'après avoir réfléchi longuement et m'y être refusé tout d'abord, je me décide aujourd'hui à vous demander une aide provisoire. » 

lettre à Irène Champigny, 30 janvier 1930 

La réponse qu'elle lui envoie de Nice, le 3 février 1930, comporte six pages dactylographiées :

« Je sais que je vais vous désoler, que vous allez me targuer d'égotisme ; il m'est impossible de vous faire l'avance que vous me demandez, plus impossible que jamais. Je m'expliquerai longuement à ce sujet, bien certaine que toute explication vous paraîtra nulle, car vous avez mis en moi votre dernière planche de salut : vous avez eu tort, Pépin aussi, (la vendeuse des Trois Magots), Armand [Hayetencore plus et votre femme seule avait raison, en ce sens que même si j'avais encore plus d'argent, je suis bien la dernière, si l'on envisage ma situation générale, à qui il faille demander cela.

...

En outre, j'ai 35 ans, je suis seule, et, lorsqu'il m'arrive quelque chose c'est sur moi et sur moi seule que je dois compter. J'ai eu cette année l'aide miraculeuse d'Armand [Hayet] à laquelle je dois d'avoir pu conclure Londres, Paris, etc., mais ce n'est chose aisément renouvelable, encore qu'il me puisse à la rigueur prêter sur des Loutreuil.

...

Enfin, s'il rentre un peu d'argent, je dois le mettre de côté pour séjourner à Paris quand la nécessité me contraindra d'y revenir, et j'écrivais justement hier à Armand ces détails en le priant d'acheter les toiles de Loutreuil qui passeraient en vente, sans que cela me démunisse de la somme possédée, sur laquelle j'établis pour la première fois depuis trois ans de soucis, une année de travail".

https://www.thyssens.com/03notices-bio/champigny_irene.php

https://www.thyssens.com/08temoignages/champigny_irene.php 


en fond, tableau de Loutreuil


Alors quel est ce mystère ? En 1930, Armand rejoignait Paris, il n'avait de logement que chez sa mère, avait une femme et deux filles, pas de travail stable, et sûrement peu d'économies qui lui aurait permis d'acheter des toiles de maître comme on achète une baguette de pain.

Il n'y avait rue Boulard, à ma souvenance ou à celle de sa fille cadette, aucune toile de Loutreuil.

Peut-on imaginer qu'André Lhote, faisant partie comme lui des artistes de Montparnasse, ait acheté par l'intermédiaire de son beau-frère, des toiles de Loutreuil pour renflouer Irène Champigny ?

Mystère résolu

Merci à Monsieur Henri Thyssens qui a épluché les correspondances d'Irène Champigny et a révisé sa certitude que le dit Armand ne pouvait être que le nôtre ! Il a alors formellement identifié Armand Movschowitz, ami diamantaire d'Irène. Il était bien improbable qu'Armand Hayet soit son mécène, mais cela m'a donné du fil à retordre !!!

Mais les courriers qui précèdent nous apprennent les difficultés financières de l'éditeur d'Armand Hayet. Les très bonnes ventes des Chansons de Bord ont contribué à redresser (momentanément) Denoël.


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