A Dieu vat !
"A
Dieu ... vat !" (le "t" étant là pour durcir le dernier mot et
amplifier sa sonorité) a été vraisemblablement employé dès que les marins
découvrirent la possibilité pour changer d'armures, de virer de bord "vent
devant", c'est-à-dire sans faire le tour en passant par le vent arrière.
Le virement de bord vent
devant sur un bâtiment d'un certain tonnage était une manœuvre toujours
délicate et qui dans des conditions défavorables de trop faible ou trop forte
brise ou de grosse mer, ne réussissait pas à tous coup, malgré les qualités nautiques
du navire, la science manœuvrière de l'officier qui la commandait et
l'entraînement de l'équipage.
Or, les qualités nautiques
des premières naves et autres grandes barques de haute mer, ainsi que la
maniabilité de leur lourd gréement, sans parler des capacités techniques du
personnel, laissaient plutôt à désirer.
Le "manque à
virer" était donc extrêmement fréquent, entraînant parfois des avaries de
voilure ou de mâture et trop souvent le naufrage, quand l'évolution était
tentée en dernière extrémité à proximité d'un danger.
C'est pourquoi, après
avoir pris pour le mieux ou pour le moins mal les dispositions préliminaires,
les maîtres ou les capitaines de navires si peu dociles s'en remettaient-ils à
Dieu pour la réussite de cette manœuvre et, pour la faire exécuter,
commandaient-ils en ôtant leur chapeau : "à Dieu ! ... vat ! " (Va ! à la grâce de Dieu).
Cette
coutume assez émouvante a survécu plusieurs siècles. "A Dieu ! ... vat
!" était en effet devenu le deuxième commandement réglementaire de la
série des ordres nécessaires à l'exécution d'un virement de bord vent devant.
Sans doute, a-t-on jugé
plus tard que, les navires obéissant mieux et les capitaines n'ayant plus
besoin de personne pour s'en faire obéir, ce commandement peu emphatique et
entaché de mysticisme, n'avait plus de raison d'être.
Quoi qu'il en soit, il a
été remplacé dans la Marine de Guerre, aux alentours de 1850, par celui d'
"Envoyez !", qui venait aussitôt après l'exécution du premier
commandement "Pare à virer !"
Cette substitution
constitua je suppose un des plus notables progrès dans l'art de la navigation
...
Toutefois la Marine de
Commerce, retardataire, conservera beaucoup plus longtemps cet "A Dieu !
... Vat !" indésirable, et s'il ne retentissait plus du haut de la dunette
de nos long-courriers, on pouvait encore l'entendre sur quelques caboteurs
bretons à l'époque où nous naviguions, mousses ou pilotins.
Mais quand dans un coup de
chien ou dans toute autre circonstance grave, tout ce qu'il était humainement
possible de faire avait été fait, nous avions accoutumé de dire - sans soulever
casquette ou suroît - "Et maintenant, à la grâce de Dieu !".
Cependant, pour nous donner une petite allure désinvolte, nous ne manquions pas
d'ajouter : "... et à la volonté du perroquet de fougue !"
Armand Hayet
Extrait de la Revue d'Apostolat Maritime "A Dieu vat"
cité par le Bulletin Paroissial des Sables-d'Olonne - 1960