20 décembre 2023

Remise de diplômes de la Promotion Armand-Hayet à l'ENSM du Havre


Ce 20 décembre 2023, l'Ecole Nationale Supérieure Maritime du Havre remettait leurs diplômes de fin d'études à la promotion Armand Hayet, sanctionnant cinq ans et demi d'apprentissage du métier d'officier polyvalent de la Marine Marchande et d'ingénieur.

Notre hôte, Florian Scarpa, officier de première classe de la Marine Marchande, délégué des élèves, a sollicité les descendants d'Armand Hayet pour le représenter en tant que grand témoin, et c'est avec joie que six des sept petits-enfants d'Armand Hayet se sont rendus à son invitation.

Après une visite de la magnifique école du Havre, et les explications du Directeur du site du Havre, Monsieur Guillaume de Beauregard, nous avons rejoint le grand amphithéâtre avec les cent cinq étudiants à l'honneur et leurs familles. Le parrain de la promotion, Monsieur Jean-Claude Di Fusco, ancien élève, était présent et fut fort ovationné.


Après le discours de Monsieur Guillaume de Beauregard qui a souhaité bon vent à ses étudiants pour leur prochain embarquement, celui de Monsieur François Lambert, directeur général de l'ENSM, et celui de Jean-Claude Di Fusco qui leur a rappelé que le secret du commandement était la dimension humaine, ils ont écouté avec gentillesse l'allocution retraçant la vie d'Armand Hayet, lue par une de ses petites-filles.

 

Armand HAYET – Capitaine au long cours, Cap-hornier

1883 – 1968

Nous devons partager notre cher grand-père Armand HAYET avec vous, car il ne nous appartient plus. Il a marqué notre vie et notre famille, mais il a aussi marqué son époque, et 140 ans après sa naissance, votre promotion porte son nom.

Il est issu de la seule branche de la famille qui avait la bougeotte, est-ce un hasard ?

Son grand-père, de souche basque, avait pris le bateau en 1848 pour tenter de faire fortune en Argentine, avec sa femme et un de ses amis. Ses deux fils naissent donc en Amérique du Sud, mais l'aîné, Achille, rentre en France en 1880 pour épouser la nièce de l'ami de son père, qu'il n'avait jamais vue, mais sans doute que leurs parents étaient contents de fusionner leurs deux familles.

De cette union arrangée, Armand nait en mars 1883, bientôt suivi par une première sœur, puis une seconde. Son père, qui vit des rentes générées par de multiples terrains acquis dans l'estuaire du Rio Negro, décède en 1889, à l'âge de 32 ans, laissant sa jeune épouse veuve avec trois enfants dont l'aîné, Armand, n'a que six ans.

Il a pris l'habitude très jeune de traîner sur les quais de Bordeaux, et d'admirer les merveilleux voiliers qui mouillent dans le port. Il a entendu dire qu'être marin était très éprouvant. Alors, dans le but de s'aguerrir - c'est l'hiver -, il casse la glace de la fontaine dans son jardin pour se laver.

L'école ne lui plaît guère, mais puisqu'il faut savoir lire pour être marin …il sacrifie à l'apprentissage et apprend à lire en quelques semaines. Cela lui ouvre le monde des livres d'aventure : Jules Verne, Conrad, Kipling, Loti deviennent ses compagnons de route et ce dernier surtout lui fait désirer de toute son âme de prendre la mer pour rejoindre Tahiti.

À force de volonté, il enlève l'autorisation maternelle : à onze ans, il passe un premier examen en vue d'obtenir une bourse. À cette occasion, il explique à l'examinateur médusé que l'Angleterre est restée en guerre ouverte avec la France pendant plus de deux siècles, et le reste du temps en guerre camouflée, même en temps d'alliance et de paix apparente.

Il faut dire qu'il lit beaucoup, car ce n'est pas dans les salles de classe, même à l'époque, qu'on apprend la géopolitique !

A quinze ans, le vingt-deux juillet 1898, il embarque enfin, à bord du trois-mâts barque Colbert armé par l'armateur Tandonnet qui met cinq mois pour gagner Tahiti sans toucher terre, et huit de plus pour faire le tour du monde, par le cap de Bonne-Espérance à l'aller et le cap Horn au retour. Il est pilotin, c'est-à-dire qu'il paye son voyage, travaille avec les matelots, prend le quart, obéit au maître d'équipage, mais est logé à l'arrière comme le mousse et mange avec les officiers. Son capitaine est brutal et impitoyable, mais sa vocation est là, et plus impérieuse que la dureté de son supérieur. Il tente bien de déserter au pays des vahinés, mais le projet ne peut pas aboutir : le second veille sur la bigaille, et bientôt notre aïeul se trouve bouclé à double tour dans sa cabine. Impossible de rejoindre à terre la jolie vahiné qui a pour nom Fetiha et qui l'attend peut-être toujours...

Cette première campagne dont le montant est remboursé à sa mère, vu ses bonnes notes, confirme son désir d'aller plus loin. Il travaille seul, par correspondance le concours de l'école d'Hydrographie et de Navigation de Bordeaux, et obtient une bourse intégrale pour préparer le diplôme d'officier de la marine marchande qu'il obtient le 14 juillet 1900.

Il navigue sur le Richelieu, la Cordillère, puis nous le retrouvons en 1904, officiellement second après le commandant Tonmaul sur un trois-mâts long-courrier. C'est l'Éridan. Le navire doit charger aux Antilles et au Cap-Haïtien du bois de campêche, des épices, du sucre, du rhum et du tafia, puis à Cayenne d'avril à décembre 1905.

C'est en 1907 – il a vingt-quatre ans - qu'il obtient son diplôme de capitaine. Il se rend alors à Durban pour rejoindre le Saint-Vincent-de-Paul, un trois-mâts en bois de 738 tonneaux des armateurs Leviels Frères. Le Saint-Vincent-de-Paul, comme l'Éridan, cingle indifféremment vers les Antilles, Madagascar ou le Siam. Là encore, il est second, le commandant est son ami Pierre-Antoine Blanchard. Mais un échouage en vue de Luc-sur-Mer le 3 mars 1907 met un terme à une trop courte carrière au long cours, d'à peine 8 ans.

Sans renoncer pour autant à ses rêves de marine, Armand raconte dans un de ses ouvrages, « qu'ayant dû interrompre ses voyages au long cours par suite de douloureux et persistants rhumatismes, cadeau de la lame d'Ouest, il prit du service à terre pour se guérir, dans le pays le plus sec du monde, mais aussi le plus désertique, le plus brûlé par le soleil : la Mauritanie ».

L'histoire maritime et l'histoire coloniale se confondent. Presque toutes les colonies ont été fondées par des marins, pour cette raison très simple que la chose eût été impossible à d'autres qu'eux. Des marins les ont longtemps administrées, de l'Afrique à la Cochinchine. Le ministère de la Marine était encore, il y a cent ans, le ministère des Colonies et de la Marine marchande.

Voilà donc le lien qui relie intimement la mer et le sable et voit Armand méhariste pendant 5 ans, à Port-Etienne, Aleg et premier résident à Boutilimit, en Mauritanie.

Rapatrié en 1913 pour une maladie tropicale grave, et la guerre arrivant, il devance l'appel et se fait mobiliser à La Rochelle-La Pallice, alors qu'il est âgé de 33 ans. Il est nommé Commandant de la Police de la Navigation Maritime et Délégué des Routes. De même en 1940, il sera responsable à La Rochelle des itinéraires des bâtiments pour éviter les sous-marins allemands.

Après la Grande Guerre, il rejoint Laon où il travaille à la répartition des dommages de guerre des départements sinistrés, faisant passer son service de 20 à 400 employés. Il sera reçu Chevalier de la Légion d'honneur pour la réussite de son travail. C'est là qu'il rencontre son épouse Raymonde, de dix-huit ans sa cadette, et ils viennent s'installer à Paris avec leurs deux filles.

Pour autant, l'eau salée coule toujours dans ses veines. Il sait que dorénavant, sa santé ne lui permettra plus de naviguer. Et surtout, surtout, ses chers voiliers disparaissent les uns après les autres, remplacés par ces bateaux à vapeur qu'il ne peut souffrir.

Armand ne peut imaginer que tout ce folklore de la voile va disparaître. Il a récolté lors de ses années de navigation toutes les chansons de travail entonnées uniquement sur les bateaux, au cours des manœuvres. Celles-ci se réduisent petit à petit, avec l'aide de la technique, et les derniers couplets sombrent dans l'oubli les uns après les autres.

Pour les conserver dans la mémoire collective, il va publier aux éditions Eos en 1927 le recueil des Chansons de Bord. C'est son beau-frère André Lhote, peintre cubiste, qui en fait les illustrations.

Cette première publication contribue à lancer la mode parisienne pro-marine dans le Paris des années 30, et toutes les divettes du moment braillent ses chères chansons dans les bistrots branchés de la capitale, à son profond désespoir.

Tant et si bien que les scrupules le rongent : « a-t-il bien fait de faire pousser des pieds à ces chansons du large dont le destin, sans son intervention, aurait été sans doute de couler corps et bien avec le dernier voilier ? » dit-il dans une communication probablement radiophonique. 

« Vous avouerai-je maintenant, que souvent le remords m'assaille d'avoir provoqué cette étrange survie terrienne de nos chères chansons, au cours de laquelle, sauf en de très rares circonstances, elles sont hélas ! volontairement ou non, trahies, malmenées, sur la scène, sur les ondes, sur la cire. Rien ne leur est épargné : roucoulades, fioritures, interprétation personnelle et artistique ! Même pas les offensantes mimiques de chanteurs qui font du comique avec elles ! »

Il écrit ensuite les Dictons et tirades des anciens de la voile, en 1934.

Puis ses mouillages dans nos vieilles colonies : Guadeloupe, Martinique, Bourbon et Ile de France, lui inspirent les Chansons des îles en 1937. La liaison directe depuis la France n'était assurée que deux fois par an, par trois voiliers, dont le Colbert ; aussi, jusqu'aux alentours de 1905, rares étaient ceux qui avaient la chance de connaître Tahiti. Les marins qui avaient pu rallier ces destinations de rêve étaient auréolés de gloire et devaient raconter aux autres les anecdotes de ces mouillages féeriques. Les « hôtesses » et leurs fêtes en composaient une grande partie, mais aussi la magnifique image « des voiliers mouillés en rade, l'arrière à terre sur deux amarres. C'était un beau spectacle que cette imposante rangée de coques parallèles, si variées de formes, de tailles, de couleurs, dont les mâtures aux mille agrès se détachaient sur les blancs édifices bordant le fond de la baie en arc de cercle » écrit-il dans Chansons des Îles.

Puis il sacrifie la bienséance en publiant sous le pseudonyme de Jean-Marie Le Bihor les Chansons de la voile sans voiles qui restituent les paroles réelles qu'il avait dû édulcorer pour les lancer dans la bonne société !

Dès 1939 il met en chantier les Us et coutumes à bord des Long-courriers, mais ne les publie qu'en 1953. Il sait en les écrivant qu'il est un des derniers témoins de la vie à bord des voiliers et c'est tout son cœur qu'il met dans ces pages, maintes et maintes fois reprises, corrigées, augmentées, que notre grand-mère tape sur sa vieille machine à écrire durant des jours entiers. Jamais content de sa prose, avec toujours un mot à biffer, à modifier, une nuance à ajouter, ce livre représente pour Armand une somme de travail extraordinaire, sur près de 15 ans.

Le suivant, malheureusement, ses "histoires du bled et du large" n'est restée qu'au stade de projet. Nous n'en avons même pas retrouvé de brouillons.

Oui, de ses voyages, il n'a gardé au cœur que la vie sur les bateaux, « ces cathédrales de toile », et ses escales merveilleuses aux Antilles. Il ne semble pas sensible aux autres ports de ses tours du monde puisqu'il raconte que les équipages et les états-majors, à part le Capitaine, allaient à terre à la longue-vue, c'est-à-dire ne quittaient pas le bord. S'ils débarquaient, ils ne gardaient en général qu'un souvenir sans joie qu'ils classaient avec leurs connaissances géographiques, économiques et autres froids renseignements techniques, dans leur mémoire assez encombrée, tandis qu'ils conservaient au plus profond de leur cœur celui de leurs heureux séjours aux vieilles colonies ».

À Paris, Armand a parfois participé à des causeries ou des communications sur Radio-Paris ; il commençait souvent ses interventions par un préambule dans ce style : « Si donc, ce que je redoute fort, mon modeste exposé vous plonge dans la brume bien connue, cette brume épaisse et étouffante de l'ennui… »

Mais ennui ou pas, il milite pour conserver la mémoire du « parler matelot », qui n'est ni un patois, ni un jargon, mais une langue à part entière. « Ce "parler matelot", disait mon grand-père, que caractérisent ce mépris de la syntaxe, cet emploi inexplicable du singulier pour le pluriel et inversement, cette profusion de termes maritimes, ces incidences inattendues coupant constamment le récit… cette franchise, cette naïveté, cette rondeur bon enfant, mais toujours virile… ».

Il refuse toutes les expressions anglaises qu'il barre furieusement lorsqu'il les rencontre dans les livres : brain-trust, week-end, midship, yachting ; c'est aspirant, repos dominical, plaisance, qu'il faut dire.

Il rédige aussi avec humour un plaidoyer, tout au second degré, en faveur des capitaines négriers : certes, l'humour a changé de style, les mots ne seraient pas les mêmes, l'article lui-même serait très loin d'être aujourd'hui correct, mais ce petit brûlot reste un morceau d'anthologie.

Il est capable de parler pendant des heures du sexe des bateaux. LE France ! Quelle aberration née d'une coquille typographique et adoubée par le snobisme ambiant !

Quelques mois avant son décès, il fustige encore le projet de supprimer le titre de Capitaine au long cours, qu'il vit comme une humiliation intense et personnelle.

Armand annotait toutes les marges de ses livres, et sur celui de Maurice David sur Joseph Conrad, le grand, l'immense auteur qu'Armand aimait et admirait, il avait écrit :

« Conrad, par suite de son état de santé, a dû abandonner la mer jeune encore. Il n'a pas eu son plein de marine, comme tant d'autres ».

Et un peu plus loin :

« Mais s'il n'avait pas voyagé, il n'eût jamais écrit. Et c'est probablement parce qu'il n'a pas navigué tout son saoul qu'il a écrit. »

De même, Armand Hayet a transformé cet amour de la mer, des marins, sa soif de voyages inassouvie en ouvrages littéraires, qu'il nous a laissés pour la postérité.

Il gardera toute sa vie son enthousiasme, sa joie de vivre, qu'il devait presque uniquement à la Marine à voiles, qui restera jusqu'à la fin son idée fixe.

Il évoquait avec regret « les jours où, mal nourri, il travaillait durement, mais où, à tout bien considéré, il était parfaitement heureux ».

Je vais terminer par la description de son ami l'écrivain Jacques Perret, qui se retrouvait souvent avec lui et quelques familiers autour de sa cheminée. Il se souvient d'Armand, la pipe à la bouche, racontant sans se lasser ses aventures et ses analyses de la vie publique, de sa voix rocailleuse aux accents bordelais :

« Quand il jugeait des gens et des œuvres, son verdict éclairé tombait comme la foudre, plus rarement comme une pluie de roses. Les visiteurs pouvaient en sourire à la sortie, mais n'en restaient pas moins impressionnés comme d'un phénomène rarissime, une espèce de merveille. On l'aimait pour ses anathèmes, d'autant qu'il s'ensuivait des élans de tendresse et parfois de suavité. Tendresse, on le devine, particulièrement vigilante pour tout ce qui était de la vraie mer, du vrai bateau, du vrai marin. Dans le cours sinueux, intarissable, enchanteur, de ses souvenirs, il ne ratait pas les occasions de planter là son histoire pour lâcher sa bordée contre les faux marins, les faux bateaux, les faux capitaines, les faux héros, les faux jetons, les faux frères, et rendez-vous compte qu'il était bien servi par les événements du jour qu'il suivait pas à pas. Depuis des années insomniaque et perclus, cet homme qui ne vivait plus que de lait prenait des coups de sang qui le requinquaient comme d'un boujaron de rhum. Les derniers temps de sa vie, le pauvre se débattait encore sous l'abondance des colères à prendre, asphyxié de scandale et de honte. Mais cet homme de combat pour qui l'honneur du pavillon faisait la raison de tout, a su trouver, je crois, et Dieu aidant, au terme d'une agonie trop lucide, la force de mourir en paix, allant jusqu'à dédaigner ses colères pour n'emporter dans la tombe que l'amour d'une patrie devenue folle et moribonde ».

Toute la promotion a ensuite défilé pour recevoir ses deux diplômes, et immortaliser l'instant avec Monsieur de Beauregard.

Nous avons remis aux jeunes diplômés un magnet au nom de notre grand-père et un mini biscuit de mer, pour leur rappeler qu'il n'est pas politiquement correct de manger le mousse !


La chorale de l'ENSM 

nous a fait ensuite la joie d'interpréter trois chants de marins, dont Au trente-et-un du mois d'août, que vous annonce ici la voix du Commandant Hayet :

Au trente-et un du mois d'Août, chorale de l'ENSM, chef de chœur : Florian Scarpa.

Et la journée s'est achevée par une réception somptueuse comme la Marine sait organiser ! 

Merci à l'Ecole Nationale Supérieure de la Marine de nous avoir associés à cette belle journée.

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